Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Gaston Lepage
au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 6 juin 2015

Si nombreux que soient les trèfles à quatre feuilles qu’il collectionne par centaine depuis sa première cueillette en 1975, Gaston Lepage se trompe. Il ne doit rien à la chance. Il doit tout à son amour fou de la vie, de la nature et du temps. Les bras grand ouverts, pour enlacer peut-on croire, alors qu’il les ouvre grand pour se donner.

De son enfance à Saint-Félicien, où il est né le 24 février 1949, il a gardé un amour inconditionnel pour les grands espaces, la nature et le silence. De sa mère, Yvette Tremblay, il a hérité du plaisir des mots et de l’engagement social. De son père Denis, qui a quitté les États-Unis à 8 ans pour suivre sa famille à Val-Jalbert en pleine épidémie de la grippe espagnole, il a appris la débrouillardise. Tour à tour fermier, bûcheron, menuisier, ce père de deux filles et de deux garçons prône une grande liberté. Le jeune Gaston peut à loisir pêcher, chasser et s’emparer de ce qu’il décrit être « cet espace sans fin qui change notre notion du monde ». La famille Lepage n’est pas riche. Sous l’arbre de Noël, les cadeaux sont pour les autres. Quand la résidence familiale doit céder la place à l’aménagement d’un poste d’essence, c’est dans un garage, entouré des tracteurs et d’équipements de la ferme qu’il célèbre ses 4 ans. Des rideaux et un lit composent une chambre qu’il adore et recrée, adulte, avec son lit à baldaquin.

Il a 10 ans, quand mère et enfants troquent l’Ashuapmushuan et ses îles pour les rives du Saint-Laurent. Le père est déjà en exil pour trouver du travail dans les grandes villes. L’enfant des bois devient pensionnaire dans des collèges privés. Collèges Saint-Césaire et Saint-Jean où il apprend à jouer des saynètes. Issu d’une famille qui compte 33 enseignants, Gaston envisage de suivre cette voie, principalement en histoire, tout en lorgnant du côté des camions, lui que la mécanique fascine tout autant que la menuiserie, le bricolage, la soudure, la forge, ainsi que la couture, le tricot et le crochet. Sa rencontre avec Jean-Paul Micouleau va trancher. Amateur de théâtre, M. Micouleau voit en son élève un futur comédien. Il le prépare à passer des auditions pour les écoles de théâtre. Avec succès. Le jeune Lepage choisit le Conservatoire d’Art dramatique de Montréal. Diplôme en mains, à 25 ans, il se voit offrir son premier rôle dans La Petite Patrie de Claude Jasmin. Il campe un missionnaire de 45-50 ans qui revient de Chine, endossant un peu ironiquement la robe de prêtre qu’il n’a jamais été même s’il en a laissé rêver sa mère, car, avoue-t-il, il aimait beaucoup trop les filles et leur compagnie. Un pluriel devenu singulier lorsque, dans le rôle du père Édouard Germain, il a donné la réplique à sa plus belle femme du monde, Louise Laparé, devenue sa compagne de toujours, cinq ans plus tard, le 24 novembre 1979.

Cinéma, théâtre, télévision, la carrière du comédien ne connaît guère de temps mort. Plus de 4000 heures de télévision derrière la cravate déclare-t-il, lui qui n’en porte pas. Animateur, réputé pour son humour, comédien reconnu pour son talent, narrateur pour documentaires, acteur pour des réalisateurs chevronnés, souvent prompt à dire oui aux jeunes méconnus : «Il faut prendre en considération que les jeunes réalisateurs sont les "vieux" du futur, affirme-t-il. Mieux vaut apprendre à les connaître, mais surtout se faire connaître d'eux, alors qu'ils sont à l'aube de leur carrière.»

Depuis Cordélia de Jean Beaudin, son premier film, «Lepage occupe une place singulière dans notre cinématographie, interprétant des personnages dont le seul point commun semble être celui de ne pouvoir être interprétés par aucun autre que lui!» lit-on dans la presse. Que ce soit dans Jésus de Montréal, Being at home with Claude, Joyeux Calvaire, Le Bonheur de Pierre, ou Je me souviens, Lepage cède aussi bien à l’humour qu’à l’engagement. Idem pour les téléséries, où on a pu le voir se transformer en homme politique dans Lobby, vendeur itinérant dans Bouscotte, paresseux dans Les Étoiles filantes, ou en avocat dans Musée Éden. Avec tout le savoir-faire qu’il faut pour faire «cocoricoter» le Coq de St-Victor, il sait aussi prêter son talent pour évoquer des évènements tragiques de sa région, comme Le Déluge du Saguenay, 10 ans déjà.

Sa prolifique carrière inclut aussi le théâtre. Fan des Jean Duceppe, Jeannine Sutto, Jacques Létourneau, Jacques Zouvi, Paul Buissonnneau, Robert Gravel, il a joué dans L'Avare de Molière, le Temps d'une vie de Roland Lepage, Des frites, des frites à la Compagnie Jean Duceppe, pour terminer avec Shylock dans Le Marchand de Venise, personnage des plus convoités par les comédiens de toutes les époques. Mais le théâtre est ingrat, constate le comédien. «Tu mets tes tripes sur la scène pour 25 000 personnes si c'est un succès.» Une mise à nu douloureuse, exigeante que le temps efface dans les mémoires faute de traces tangibles, si ce n’est les critiques dont certaines peuvent être assassines.

Sélectionné au Prix Gémaux pour son rôle dans Bouscotte, cofondateur, avec Francine Ruel, Normand Bratwaithe et Robert Gravel de la Ligue nationale d’improvisation, il remporte la Coupe mondiale en Suisse quelques années plus tard et figure parmi les premiers à être intronisés au Temple de la renommée de la LNI. Pourtant, ses trophées les moins visibles sont les plus remarquables : porte-parole et Ambassadeur-Gouverneur pour les Auberges du cœur destinés aux jeunes de 12 à 30 ans, militant pour la protection des rivières et porte-parole du programme Pêche en herbe destiné à initier des jeunes aux plaisirs de la pêche sportive, collecteur de fonds pour des œuvres caritatives dont Opération Enfant Soleil, il se fait présent au Festival Regard sur le court métrage au Saguenay, préside le souper-bénéfice de la rivière Saint-Jean-Saguenay ainsi que les activités-bénéfices de la Fédération québécoise du saumon atlantique et de la Fondation de la faune du Québec. Porte-parole d’Air Médic en 2002, il assumait l’an dernier la présidence d’honneur du Symposium international de peinture et de sculpture du Saguenay–Lac-Saint-Jean avec le peintre animalier Gérald Trudel.

«Il faut tout donner», dit aussi bien le comédien que l’homme engagé. Ce qui ne prive pas l’épicurien avoué de s’envoler, jadis sur les ailes d’un hydravion, aujourd’hui à bord de son hélicoptère, pour retrouver espace, nature et silence sur les bords d’un lac qu’il a nommé Perdu. Ce soir, cependant, c’est un Félicinois jamais perdu que nous célébrons.


Le 6 juin 2015
Gaston Lepage

Comédien, animateur, humaniste
Fier ambassadeur de sa région
Pour son engagement exceptionnel
fut reçu membre de l’Ordre du Bleuet

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lundi 22 juin 2015

GASTON LEPAGE SUR VIDÉO AU GALA 2015 DE L'ORDRE DU BLEUET


GASTON LEPAGE


Quelques minutes pour se souvenir
d'un grand moment

Gala 2015 de l'Ordre du Bleuet





Réalisation Ariel Laforge
Texte Christiane Laforge
Lecteur Patrice Leblanc

POURQUOI L'ORDRE DU BLEUET

L'intensité et la qualité de la vie culturelle et artistique au Saguenay-Lac-Saint-Jean est reconnue bien au-delà de nos frontières. Nos artistes, par leur talent, sont devenus les ambassadeurs d'une terre féconde où cohabitent avec succès toutes les disciplines artistiques. Cet extraordinaire héritage nous le devons à de nombreuses personnes qui ont contribué à l'éclosion, à la formation et au rayonnement de nos artistes et créateurs. La Société de l'Ordre du Bleuet a été fondée pour leurs rendre hommage.La grandeur d'une société se mesure par la diversité et la qualité de ses institutions culturelles. Mais et surtout par sa volonté à reconnaître l'excellence du parcours de ceux et celles qui en sont issus.